31/10/2012
Lorsque la France réduisait sa dette publique...
Je conseille la lecture de cet article de Jean-Marc Vittori,
paru dans les Echos datés 29 octobre 2012.
Attention, zone dangereuse... L'an prochain, la dette publique française dépassera les 90 % du PIB. Or ce niveau a été identifié comme un seuil périlleux, qui menace la croissance économique. Ecoutons les économistes Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart qui ont scruté les finances publiques de dizaines de pays sur deux siècles : « Au-dessus de 90 %, les taux de croissance médians tombent de 1 %, et les taux moyens bien plus. » Ou les experts du FMI, qui ont réfléchi dans l'autre sens en examinant ce qui se passe quand la dette publique dépasse 100 % : « Les pays qui ont dépassé le seuil des 100 % ont typiquement une croissance plus faible que la moyenne. » Ces affirmations peuvent difficilement être balayées d'un revers de la main. Elles relèvent de constats empiriques et non d'une théorie d'intégristes budgétaires. Elles ne doivent pas plus être prises comme un couperet. Une dette publique de 91 % ou de 100,3 % n'entraîne pas plus la récession que 2,1 grammes de cholestérol par litre de sang ne provoquent mécaniquement un infarctus.
Il s'agit simplement d'une alerte : à ce niveau, mieux vaut tenter de réduire la dette.
Comment, donc, faire baisser cette dette ? Il existe quatre moyens et seulement quatre de résorber la montagne.
- D'abord, la croissance qui fait grossir le gâteau et donc les recettes fiscales.
- Ensuite, l'inflation qui érode la valeur des remboursements.
- Et puis la rigueur, au risque d'étouffer la croissance - c'est le débat européen du moment.
- Enfin la solution radicale du défaut.
Dans ses dernières Perspectives mondiales, le FMI a consacré un chapitre entier à décrire comment les pays avancés ont avalé leurs excès de dettes publiques depuis la fin du XIX e siècle (signe si besoin en était que le sujet devient préoccupant). Ses économistes ont étudié systématiquement ce qui s'est passé chaque fois que la dette publique a dépassé 100 % du PIB.
Parmi les 26 épisodes étudiés depuis 1875, une grosse moitié se sont traduits par un poids de la dette publique inférieur quinze ans plus tard. Deux pays seulement sont passés par la case « défaut » : l'Allemagne (suspension des réparations de guerre en 1932) et la Grèce (1894 et 1932). Le moyen le plus efficace de réduire la dette a été une très forte inflation, expérimentée par l'Allemagne des années 1920 ou le Japon et l'Italie au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Une forte croissance est aussi un levier puissant. De 1986 à 2001, l'Irlande a ainsi pu abaisser sa dette publique de 108 % à 35 % de son PIB, grâce à une croissance de plus de 6 % l'an. La rigueur, elle, ne suffit pas à redresser les comptes. Dans l'un des épisodes les plus spectaculaires, celui des Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale (dette passée de 120 % à 75 % du PIB en cinq ans), l'inflation explique ainsi à elle seule les trois quarts de l'amélioration, le reste venant à parts égales de la croissance et des excédents budgétaires. La France ne figure pas parmi les six scénarios que le FMI a étudiés de plus près, alors que sa dette publique a frôlé les 100 % du PIB en 1890 pour cause d'indemnités versées à la Prusse, puis les a dépassés après chaque guerre mondiale (180 % du PIB dans les années 1920 et 220 % en 1946). Mais deux économistes de la Banque de France, Gilles Dufrénot et Karim Triki, ont réalisé un travail parallèle aux résultats très instructifs (en rappelant que « les opinions émises ne reflètent pas nécessairement le point de vue des institutions auxquelles appartiennent les auteurs »). Ils ont étudié sept périodes où la dette publique a baissé en France depuis la fin du XIX e siècle.
Leur première leçon rejoint celle que le FMI n'a pas osé formuler aussi clairement :
- La politique budgétaire a « faiblement influencé les baisses observées du ratio de la dette publique ».
- Deuxième leçon aussi dérangeante, la France n'a jamais réussi à faire baisser sa dette publique sans forte croissance.
- La troisième leçon est moins simple, mais aussi cruciale : la probabilité d'une baisse de la dette publique s'accroît quand il y a « répression financière », c'est-à-dire une pression exercée par les pouvoirs publics pour maintenir à bas niveau les taux d'intérêt sur les obligations d'Etat. Cette répression peut passer par toute une palette d'outils, des réserves obligatoires imposées aux banques aux normes prudentielles obligeant les assureurs et autres fonds de retraite à détenir des titres d'Etat.
L'inflation a aussi largement contribué à alléger le fardeau de la dette publique, juste après la Seconde Guerre mondiale mais aussi dans les années 1920. C'était même... la recommandation d'un certain John Maynard Keynes, dans une « Lettre ouverte au ministre des Finances » parue dans le quotidien « L'Information ». Pour faire baisser la dette, l'économiste anglais refuse la piste fiscale, car alors « les impôts absorberont près du quart du revenu national de la France », un niveau qu'il juge insupportable.
Pas question non plus de faire défaut, car « une répudiation de la dette nationale constitue une dérogation si brutale et si dangereuse aux principes de droiture financière qu'elle ne doit être pratiquée qu'en tout dernier ressort ». Reste alors une dernière piste : « Nous voici donc, par voie d'élimination, réduits à une seule solution : la hausse des prix intérieurs. »
Principal enseignement de ce survol historique :
- La rigueur budgétaire ne permet pas de réduire la dette quand il n'y a ni inflation ni croissance.
- La voie de l'inflation semble aujourd'hui plus difficile à emprunter, dans un monde très ouvert où abondent les capacités de production, hommes comme machines.
- La voie de la croissance semble presque aussi compliquée à trouver, faute de réformes en profondeur, faute surtout de nouvelles révolutions technologiques.
Comme le montrent les exemples du XX e siècle, les politiques de consolidation budgétaire ont alors peu de chances de réussir. Mais l'Histoire prouve aussi que des surprises sont toujours possibles en matière de croissance ou d'inflation.
- Et il reste la voie du défaut, choisie par la France à de maintes reprises dans son glorieux passé, jusqu'à l'annulation des deux tiers de sa dette en 1797. « En tout dernier ressort », comme le dit fort justement Keynes.
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